Le mangeur de perles

Bienvenue à Taepu, une petite île perdue au beau milieu du Pacifique Sud, couverte de cocotiers et entourée de plages de rêve, comme sur les cartes postales. C'est là que vit Nina, une petite fille de six ans. Comme tous les enfants de son âge, Nina va à l'école. Et oui, même sur les îles paradisiaques, il y a des écoles. En revanche, après l'école, Nina va plonger car sur son île, c'est l'été toute l'année et la mer est toujours chaude. Son terrain de jeux préféré, c'est le lagon*. Ça tombe bien, il est juste en face de sa maison. C'est un peu comme son jardin à elle… sauf qu'au lieu d'avoir des fleurs et des petits oiseaux comme tout le monde, Nina, elle, a des massifs de coraux* et des poissons multicolores. Et en plus, il y a tous ses amis. Sa préférée, c'est Ursula, la tortue. C'est grâce à elle que Nina a rencontré tous les autres. Comme, par exemple, Audrey, une raie* très câline qui demande toujours à Nina de lui gratter le ventre. Gaston, un diodon* vraiment peureux qui se transforme en hérisson à la moindre alerte. Il y a aussi Pipa et Pipo, le couple de poissons-clowns* qui adorent organiser des spectacles pour tous les habitants du lagon. Ou encore cette bonne vieille Irène, la murène* qui a toujours l'air en colère quand elle sort de son trou. C'est tout ce petit monde que Nina est chaque jour si pressée d'aller retrouver, particulièrement ce jour-là, car tous attendaient un heureux événement…

A peine rentrée de l'école, Nina attrapa donc ses palmes, son masque et son tuba* et plouf ! Elle plongea avec délice dans l'eau chaude et transparente du lagon. "Tout le monde est déjà là", se dit-elle en apercevant tous ses amis réunis autour d'une grosse anémone*. Même Irène était sortie de sa tanière pour l'occasion. "Ça a déjà commencé ?" demanda Nina en arrivant. "Non, mais ça ne va pas tarder, répondit Ursula. Tiens, voilà Pipo et Pipa qui arrivent. Ils vont aller voir si les œufs sont prêts à éclore*." Les deux poissons-clowns se dirigèrent vers un creux de rocher situé juste au pied de l'anémone et se glissèrent à l'intérieur. Tous les animaux retinrent leur souffle. Au bout de plusieurs longues minutes, un tout petit poisson-clown apparut, puis un autre et encore un autre… Et c'est tout un nuage de bébés poissons-clowns qui sortit bientôt du rocher. "Oh, ce qu'ils sont mignons. Bravo Pipo et Pipa !" s'écria Nina et tout le monde applaudit des deux nageoires la nouvelle famille poisson-clown.

Mais soudain, une ombre passa au-dessus d'eux. Nina leva les yeux. "C'est sûrement Audrey qui arrive en planant pour se joindre à la fête", dit-elle. "Non, rétorqua Ursula. Ça ne ressemble pas du tout à une raie. Ce serait plutôt… un requin !" A ces mots, Gaston se mit à gonfler comme un ballon de baudruche en disant : "Un requin ? Hoo, que j'aime pas ça !" Le squale* s'avançait lentement vers eux. Ursula se réfugia à l'intérieur de sa carapace et les poissons-clowns se mirent à l'abri parmi les tentacules* de l'anémone. Nina resta le plus calme possible, se souvenant des conseils de son papa, plongeur : face à un requin, ne surtout pas s'agiter dans tous les sens. Le requin était maintenant juste devant elle. Il la regarda droit dans les yeux et tout à coup, il lui fit un grand sourire. Surprise ! Il n'avait qu'une seule dent ! "Chalut, moi, ch'est Aldo, dit-il. Che peux chouer avec vous ?" "Heu, bonjour Aldo, répondit Nina, un peu méfiante. Bien sûr que tu peux jouer avec nous, à condition que tu n'avales personne." "Ah, ah, ne vous jinquiétez pas, dit-il. Che ne manche que des chuîtres. Ch'est d'ailleurs comme cha que ch'ai caché toutes mes dents."

C'est ainsi qu'Aldo fut adopté par la petite bande du lagon. Il devint la coqueluche des petits poissons-clowns pour qui il avait inventé un jeu : la torpille. Les petits devaient essayer de rester accrochés à ses ailerons* le plus longtemps possible pendant qu'il traversait le lagon à toute vitesse. Quelle rigolade ! Nina était aux petits soins pour Aldo. Chaque jour, elle lui apportait des huîtres. Alors, pour la remercier, Aldo lui offrit une magnifique perle rose. "Quelle est belle, dit Nina. Où l'as-tu trouvée ?" "J'ai mangé tellement d'huîtres que j'ai appris à reconnaître celles qui ont des perles, expliqua Aldo. Du coup, j'ai une très belle collection que je gardais bien cachée dans un endroit secret. Mais un jour, des chasseurs de perles ont découvert ma cachette. Je les ai toutes mises dans ma bouche et je me suis enfui. Et je suis arrivé par hasard dans ce lagon, la bouche pleine de perles, ce qui m'obligeait à parler comme cha. Mes perles sont en lieu sûr maintenant mais j'ai toujours peur que les chasseurs me retrouvent." "Ne t'inquiète pas Aldo, le rassura Nina. S'ils mettent un pied dans le lagon, on leur donnera une bonne leçon."

Et en effet, les chasseurs finirent par retrouver la trace d'Aldo. Par une nuit de pleine lune, ils plongèrent dans le lagon à la recherche de son précieux trésor. Ils n'eurent pas à chercher très longtemps : éclairé par un rayon de lune, un gros  tas de perles les attendait au fond de l'eau. Trop occupés à remplir leurs sacs, les chasseurs ne virent pas tout de suite la drôle de créature qui s'approchait d'eux. Et quand ils racontèrent ensuite qu'ils avaient vu dans le lagon de Taepu une fille à cheval sur un requin, accompagnée d'une raie grande comme un aigle, d'une tortue féroce comme un tigre, d'une murène enragée et d'une armée de poissons-clowns, tous les gens de l'île les prirent pour des fous et on ne les revit plus jamais dans ce coin du Pacifique. Quant à Aldo, il coule des jours tranquilles, sous la protection de Nina, à manger des huîtres et à semer des perles un peu partout au fond du lagon de Taepu.